La colère d’une fourmi

Le 14 juillet dernier un ami est mort.
Alors que quelques jours plus tôt je terminais un texto à son attention : « Bon anniversaire et on se voit sans faute en septembre », j’apprends la triste nouvelle.

Durant plus de huit années nous avons partagé les couloirs d’un même bâtiment universitaire à Nanterre.
Nous avons descendu des cafés durant la journée et quelques rares bières en « alter work ».
Il rêvait de musique et moi d’infographie. Nous échangions sur nos envies de changement. Nous nous présentions nos avancées. Nous critiquions l’autre et faisions avancer les choses … parfois.
Je ne fus pas le seul à rêver que sa musique puisse prendre plus de place dans sa vie professionnelle mais ses démons l’empêchaient d’avancer. Je n’ai jamais rencontré ses mystérieux fantômes mais je constatais jours après jours leur influence.
Par amitié, par plaisir, par conviction, pour mille raisons j’ai accompagné Skeuv (de son « nom de scène ») à la recherche d’un nouvel élan et puis je me suis détourné par lassitude de ne pas le voir progressé. Par facilité aussi je l’ai laissé un peu plus « seul » hors de nos heures de travail.
A ce moment Madame V. arriva dans notre service et dans nos vies. Elle prit le relai avec son vécu et sa folie positive. On aurait pu croire au miracle mais malheureusement son amitié, il n’y eu que quelques éclaircies avant que la santé de Skeuv ne fasse la conne et ne s’abîme.

Skeuv était un collègue, il était devenu un ami. Et puis le temps le fit devenir un ensemble de souvenirs agréables planqués entre deux moments du quotidien.
Dans ces cas-là on se dit toujours que l’on n’a pas été présent quand il fallait et que l’on s’est éloigné trop facilement.

Ce qui m’attriste le plus c’est qu’il rêvait d’inscrire sa musique dans le temps, l’époque, les têtes, … (un peu comme moi et mes images). Il faisait tout pour protéger sa musique pensant à un succès prochain. De lui ne reste finalement presque rien maintenant hors de ses disques dures égaré je ne sais où.
J’ai la chance (avec d’autres) d’avoir quelques morceaux discrètement partagés (dont la très bonne maquette de triphop-lounge-biduletrucchouette : TTime) et pourtant Google l’a déjà oublié ou presque. On trouve encore (mais pour combien de temps), un lien professionnel qui disparaitra à la prochaine mise à jour, une page sur les copains d’avant dont la photo de profil est la seul image que Google présent à la recherche de son vrai nom. Et puis il y a un myspace, un blog, des collaborations avec sa colloc et artiste sur Youtube (ou l’on entrevoit sa tête entre les deux effets visuels « hardcore »).

J’avais eu le plaisir de faire deux, trois choses pour l’accompagner dans son histoire musicale. Un (mini) site qui ne s’est jamais étoffé ou trenne quelques sonneries pour téléphone portable … des bouts de morceaux jugés sans avenir ?

et deux jaquettes de CD qui n’ont jamais servi (et pas forcément bien vieilli)

Je termine l’écriture de ces mots entre colère, honte et tristesse. Cela faisait plus d’une année que noyé dans le boulot et une vie de famille je remettais au lendemain de retrouver Skeuv (et quelques autres d’ailleurs).
La dernière fois que nous nous sommes parlé il était retourné à l’hosto pour un traitement choc contre une infection au niveau du poumon. Je me suis un peu caché derrière ma réelle peur des hôpitaux en lui disant : « On se voit dès que tu sors », et puis …
La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles c’était par email. Il me demandait de faire suivre sur les réseaux sociaux les vidéos de sa coloc dont il avait signé le son. J’avais fait suivre sur les réseaux sociaux … (Deep mode, nuclear me, psychosomatik 02, nuclear3, les flots 04, Bleu profond, Future)

Aujourd’hui je ne peux lui offrir qu’un article sur mon petit blog, un trace numérique de plus pour le faire survire juste un peu plus.

Skeuv, je suis tellement triste de ne pas avoir été dans les parages à la fin, tellement triste de ne plus te savoir « les pieds sur terre ».

Je m’aperçois que nous n’avons pas assez de temps et que nous le perdons plus ou moins à essayer de faire quelque chose. Nous ne faisons que passer. Pour la plus grande partie d’entre nous, nous ne laisserons aucune trace (immortelle) de notre passage. Tout cela me fait réaliser que nous ne sommes que des points au milieu d’une fourmilière qui ne s’arrête jamais de fonctionner. Ne sommes-nous ici que pour subir et partir ?

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